Obrillant Damus soutient sa thèse
Solidarité et Cancer en Haïti
Étude menée auprès des patients atteints du cancer de la prostate, et des soignants
Mercredi 7 décembre 2011 à 15:00
Université Paris VIII, Salle D 143.
Le jury est composé de
Madame Dan Ferrand-Bechmann, professeur émérite des Universités
Monsieur Hurbon Laenec, directeur de recherche au Centre National de la Recherche Scientifique CNRS
Monsieur Alain Giami, Directeur de recherche à l'Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale INSERM
Avec comme invités
Marie Menoret, Maître de Conférences à l'Université Paris VIII, chargée de recherche au CNRS
Marc Keller, médecin délégué aux affaires médico-sociales et internationales à la Ligue Nationale Contre le Cancer.
Norbert Amsellem de l'Institut National du Cancer INCA
Rapport de thèse
Laënnec Hurbon
Directeur de recherche au CNRS
Port-au-Prince, 7-10-11
Obrillant DAMUS : Solidarité et cancer. Etude menée auprès des patients atteints du cancer de la prostate, et des soignants.
Pour le grade de docteur de l’Université Paris VIII
(Disciplines : Sociologie et anthropologie)
La thèse de Monsieur Obrillant Damus porte sur un sujet d’une particulière délicatesse : sur les réactions de tous ceux qui s’approchent autour des malades du cancer de la prostate. Ces réactions sont étudiées sur la base des pratiques de solidarité conçues comme ce qui peut créer du lien social et donc comme ce qui contribue à produire la société. La délicatesse du sujet que reconnait lui-même l’auteur de la thèse provient de la proximité de la mort à laquelle conduit le cancer de la prostate et qui donc met tout chercheur au contact du vécu de la maladie. Un vécu qui donne à penser ce qu’il appelle « la vulnérabilité humaine ». L’approche évitera pour cela les chemins du positivisme et sera résolument compréhensive dans la mesure où la subjectivité du chercheur dans ses enquêtes sera mise à l’épreuve dans la rencontre avec les malades. Mais pour mener à bien cette recherche, Obrillant Damus s’oriente vers le terrain d’Haïti où les systèmes de solidarité sont d’autant plus développés que l’Etat apparait extrêmement faible sinon absent face aux détresses des malades du cancer de la prostate.
La recherche consacre un long chapitre d’une centaine de pages sur le cadre théorique et méthodologique. Tout d’abord, Damus reconnait sa dette envers les travaux de Dan Ferrand-Bechman sur la sociologie du bénévolat qui l’a conduit à faire de la solidarité le concept central de la thèse. Les travaux les plus importants relevant de la sociologie, de l’anthropologie et de la psychologie sur les pratiques de solidarité sont systématiquement étudiés en vue de montrer la pertinence du sujet de la thèse dans le champ des sciences sociales. C’est pratiquement un nouveau pan de recherche qui est mis en relief et qui n’a pas été jusqu’ici suffisamment pris en compte. Les travaux concernant la sociologie de la santé, les représentations de la maladie du cancer de la prostate (différents modèles étiologiques et thérapeutiques), sont repris ici de manière exhaustive en fonction de leurs apports à la consolidation de l’hypothèse propre d’Obrillant Damus, à savoir que la maladie du cancer nous met en proximité avec la mort, et de ce lieu de la vulnérabilité humaine émerge du lien social grâce aux solidarités suscitées par la maladie. La thèse éclaire ainsi d’un jour nouveau le concept du don, « fait social total » selon Mauss et qui est revenu comme « une énigme » (au sens de Godelier) au centre des recherches en anthropologie et sociologie. Les solidarités manifestées autour des malades de la prostate viendront démontrer ici le caractère universel de la loi du don symbolisé dans ce travail par le fameux tableau (p.13) du peintre Raphael « Les trois grâces » (donner- recevoir- rendre).
Apres s’être penché sur les travaux médicaux pour découvrir les données épidémiologiques sur le cancer de la prostate et sur les divers facteurs de risques, la thèse développe au niveau méthodologique les raisons qui justifient le choix d’Haïti comme terrain pour les enquêtes et la mise à l’épreuve de l’hypothèse avancée. Si la faiblesse de l’Etat-providence induit le recours à la famille comme famille-providence, celle-ci sera particulièrement le lieu le plus fort de déploiement de systèmes informels de solidarité. De surcroit, l’étude conduite à l’hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (sur 60 patients atteints du cancer de la prostate et sur 3 médecins soignants) et à l’Institut haïtien d’Oncologie à Port-au-Prince donne à penser que le séisme survenu le 12 janvier 2010 entraine une aggravation de la situation des malades et en même temps une montée en puissance des solidarités informelles face à la destruction de la maison familiale et à la disparition de membres de la famille ou des proches.
Sur sept chapitres, Obraillant Damus décline et analyse les divers types de solidarité autour des malades du cancer de la prostate que révèlent ses enquêtes : solidarités familiales, amicales, de voisinage, d’église, médicales, tradimédicales et entre les malades eux-mêmes. Les solidarités familiales sont les plus solides et les plus profondes comme le montre le diagramme de la p.284, elles sont appuyées par les solidarités amicales quand elles protègent contre les discriminations et les préjugés, de même par celles de l’Eglise comme prolongement de la famille ou comme substitut à la famille ; les tradimédicales de leur coté se mettent en mouvement souvent sur la base de la sollicitude des membres de la famille, car en Haïti la carence des soins médicaux modernes est compensée par le recours aux « médecins-feuilles », fins connaisseurs des plantes médicinales et dont le rôle est inscrit dans la culture très riche qu’est le vodou.
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C. Colomb
recevant le don de Dieu |
La dernière partie de la thèse porte logiquement sur les attitudes des malades du cancer de la prostate d’abord face au diagnostic lui-même et ensuite sur les représentations de la maladie. Le diagnostic apparait pour le malade comme un événement, un basculement, une catastrophe même qui conduit à s’interroger sur la mort et le sens de la vie. Il suscite de la dénégation et en même temps toutes sortes de fantasmes qui mettent en cause et en crise l’identité du malade. D’autant plus que ce type de cancer a des incidences immédiates sur la vie sexuelle eu égard aux traitements qui peuvent entrainer tantôt de l’incontinence, tantôt de l’impuissance. Le malade est alors porté à imaginer les causes les plus irrationnelles à la maladie. Obrillant Damus examine cette problématique de la vulnérabilité humaine ressentie par l’individu en nous conduisant à une relecture des analyses fines de Jankélévitch sur le rapport à la mort. A ce niveau de sa recherche, on pourrait croire que la thèse s’affaisse dans un pessimisme. Bien au contraire, c’est la vulnerabilite elle-même qui ouvre la voie à la solidarité et à une véritable pratique anti-utilitariste, en quoi l’humain se retrouve et peut émerger et s’épanouir. L’épreuve de la proximité de la mort (sous les espèces de la mort des autres, des siens ou des proches et sur le pressentiment de sa propre disparition) nous donne de nous penser et de nous reconnaitre semblables à tous les autres humains, mais cette solidarité porte en elle une autre vertu insoupçonnée : celle de sortir le malade de l’invisibilité, et de rendre public ce qui restait dans l’alcôve du privé. Une telle approche confine à une sociologie politique, Obrillant Damus choisit plutôt de soutenir qu’il contribue à ce qu’il appelle une proximologie. Une telle recherche comporte obligatoirement d’après Damus des enjeux pratiques importants pour la politique de prévention et d’éducation contre le cancer de la prostate.
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C. Colomb recevant
les dons des Amérindiens |
Je pensais spontanément que ce travail devait entreprendre des comparaisons non seulement avec les représentations d’autres maladies, mais aussi avec le vécu du cancer de la prostate dans d’autres iles du Caraïbe. Au bout de la lecture de cette thèse, je me rends compte qu’on est bien en présence d’une recherche qui disposait en elle-même tous les éléments qui lui permettent d’aboutir, car elle s’est déployée avec rigueur et avec une implacable logique autour de son hypothèse centrale sur la solidarité grâce à une analyse fine des témoignages nombreux fondée sur une connaissance de la sémiotique, et sur une grande maitrise des instruments théoriques et méthodologiques de la sociologie. Plusieurs disciplines dont l’anthropologie, la psychologie et la philosophie ont été également convoquées pour cerner les pratiques de solidarité avec les malades du cancer de la prostate. Toutes ces qualités me convainquent que cette thèse mérite d’être soutenue et constitue un enrichissement de la loi du don qui soulève encore tant d’interrogations dans les sciences sociales en quête de ce qui fonde le lien social.
Obrillant Damus s'est inscrit en thèse en décembre 2008 après l'obtention du prix de Master en Sciences Humaines et Sociales du Cancéropôle Ile-de-France.
Csgd94120
Culture, ce que chacun récolte dans le dalot.
1 commentaire:
Je suis vraiment content de voir pour une fois un travail d'une telle ampleur réalisé en Haiti où le don et les ONGs pleuvent de manière exponentielle. Une façon scientifique de voir la solidarité en Haiti dans ce cas précis qu'est le cancer de la Prostate! Felicitiations et bonne continuation Mr Damus.
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